Phéris, la gueule de Fonrinet
Mes affaires m’avaient amenée à Phéris en Fonrinet, où le fournisseur des bougies et de la cire de mon hôtel voulait, comme chaque année, renégocier notre contrat. Cela ne me gênait en rien, mais cette année le temps avait rattrapé le vieil homme et il ne put faire le voyage jusqu’à la capitale, Heinburud. J’ai donc suivi en chariot la route impériale jusqu’à la frontière des Lordens de Fonrinet, Stanford et Glainrud.
La ville de Phéris était à l’image du sentiment que me fit ressentir le Lorden de Fonrinet lors de mes voyages : fonctionnelle. Elle se dressait fièrement sur la dernière colline des monts d’Angluion au-dessus du lac qui lui était éponyme. Ses fortifications bien qu’imposantes ne portaient aucune fioriture ou embellissement et s’orientaient vers l’ouest et le sud.
Bâtie en terrasses fortifiées, la ville se divise en quartiers dont les habitants se regroupent par classes sociales jusqu’à atteindre la citadelle. Cet édifice surplombe la plaine et les collines, étendant son ombre sur la ville comme l’aiguille d’un cadran solaire ; si bien que les habitants ont placé des drapeaux sur les murs intérieurs de la première muraille afin de connaitre l’heure. Ce procédé a poussé la population à baptiser la citadelle la Flèche du Temps.
Arrivant du sud, il nous fallut contourner la ville par l’ouest afin de traverser le lac par la porte-pont. Une fois passé sur le pont nous arrivâmes dans une large étendue de terre coincée entre la cité et le lac, mais également fermée au nord par une haute muraille de pierre. Je restais surprise de ce que l’on y faisait pousser ici. Tout semblait fragile et fatigué, seules les fleurs se dressaient fièrement dans ce cimetière végétal. Plus tard j’appris que ce lieu se nommait le Jardin et qu’en y accumulant des fleurs les habitants poussaient les abeilles de la région à polliniser les quelques légumes plantés ici à l’abri du vent, brisé par la muraille.
Je laissais donc le Jardin derrière moi pour pénétrer dans la ville. L’urbanisation avait été conçue comme un escargot, s’enroulant autour de la citadelle, créant une ville spirale. À l’entrée de chaque terrasse une unique porte massive était percée dans le mur, et était reliée à sa jumelle dans le mur de la terrasse suivante par un important boulevard d’où partait rues et avenues qui délimitaient les quartiers de la ville.
Au plus bas niveau se trouvait les entrepôts et les comptoirs qui donnaient directement sur le lac et l’embarcadère. De là, il était possible de rejoindre par le fleuve la route impériale au nord entre Brychalis et Chançamont. Je fus impressionnée par le volume de marchandises qui entraient dans Phéris, cette ville engloutissait les vivres et les biens manufacturés en provenance de l’Empire pour les redistribuer en Fonrinet. Une armée de porteurs et de dockers s’affairaient à déplacer caisses et paniers entre les bacs et les caravanes. Une fois vidées, les charrettes se replissaient de minerais ou de barres de fer ou bien encore de pierres taillées arrivant cette fois ci de des carrières de Fonrinet. Parfaitement coordonnés, tous ces échanges se faisaient sans cris et sans heurts, ce qui donnait l’impression d’une « cacophonie silencieuse ». Je compris plus tard que Fonrinet ne produisait que des matériaux bruts dont dépendait le reste de l’Empire ; mais si son sous-sol était riche, sa surface était soumise aux vents nordiques qui empêchaient toute culture pérenne ce qui bloquait le développement du Lorden.
Après être arrivée au relais de diligence je m’empressais de faire envoyer un Corbax à la capitale pour rassurer mes enfants et les informer de mon arrivée à destination. Je me rendis ensuite au second niveau de la ville, lieu de commerce et d’artisanat. Dans les rues je ne ressentais pas la chaleur et le bouillonnement caractéristique de la capitale. Les gens n’avaient pas la mine joyeuse mais ne semblaient pas en peine pour autant. Le Lorden avait besoin de chacun d’eux pour continuer de fonctionner, alors tant que leur travail n’était pas fini ils ne souffraient d’aucune distraction et se contentaient de réaliser leurs tâches afin qu’un cousin, une sœur ou tout autre parent dans le Lorden puisse recevoir les denrées dont il avait besoin.
Avant de franchir la porte du commerce de mon interlocuteur je choisis de jeter un œil vers les hauteurs de Phéris, l’enceinte supérieure du niveau me bloquait la vue mais je pouvais voir dépasser les luxueuses flèches des tours des guildes et des palais des notables de la cité. Et bien sûr, dominant tout le reste, la Flèche du Temps qui, par sa présence, semblait défier quiconque voudrait entrer en Fonrinet.
Carnet de voyage de Marie-Blanche Rivière
Par Optio