La Geste d’Aurélion IV, le Griffon d’Or
Le sang des Empereurs s’était amenuisé au cours du deuxième millénaire tandis qu’il se mêlait à celui des autres maisons, si bien que leur pouvoir divin périclitait lui aussi à mesure des générations. La maison Cœur-de-Griffon avait dû faire des compromis drastiques sur ses prétentions, et elle en avait même été résolue à marier ses propres enfants entre eux. D’aucuns disent que cela scella son destin, et que vers le dix-huitième siècle, Andarieu Cœur-de-Griffon n’était même plus capable de refermer une plaie longue comme le doigt. Il s’en suivit une période de troubles durant laquelle le pouvoir passa successivement à d’autres maisons qui héritèrent du trône en faisant valoir leur droit de succession. En effet, en absence du don de guérison, la légitimité des Cœurs-de-Griffon était devenue toute relative, d’autant que la consanguinité avait rendu les héritiers décadents et à moitié fous. Au terme d’un siècle parsemé de conflits et de luttes intestines, il advint que le pouvoir revint à la maison Ventaigle. Cette dernière se révéla incapable de gouverner convenablement, et pour la première fois la grogne monta envers le trône. Les Mages étaient dépassés.
Le deuxième millénaire était déjà mort depuis une dizaine d’années, et l’Empire des Hommes n’avait jamais été aussi divisé. Dans les ténèbres s’éveilla une nouvelle lumière, un jeune homme dont nul ne connaissait le rang. Et pourtant… Ce roturier aux origines inconnues de la postérité s’éleva contre le pouvoir. Son charisme et son intelligence étaient grands, mais sa vaillance l’était encore davantage. Pour seul bijou pendait de son cou deux ailes d’or, reflétant son regard ardent et sa foi dans les Jumeaux.
Par une nuit sans lune il s’introduisit dans les quartiers de l’Empereur Ventaigle jusqu’à l’enclos de ses griffons. Lorsqu’il y fut surpris, les gardes se mirent à rire car il se tenait devant Terenzar l’Indompté, l’unique rejeton de la portée. Nul n’avait réussi à le monter, et les rares survivants étaient repartis défigurés. Mais lorsque la bête fabuleuse vit luire le cou du jeune homme, elle s’inclina respectueusement devant lui et ils partirent tous deux à travers le ciel étoilé.
Fou de rage de s’être fait dépouiller, la maison Ventaigle ordonna la capture du jeune effronté, et offrit en guise de prime un Kaar aussi gros que la circonférence du crâne de ce dernier. Pour son forfait éhonté, le jeune homme sans nom devint une légende vivante, connu désormais comme étant le Griffon d’Or, et beaucoup se rallièrent à sa bannière. Pour faire brûler de rage l’Empereur, il la fit tisser à l’effigie d’un griffon survolant un ciel d’argent et d’azur, qui se trouvait d’ailleurs être la copie quasi-conforme de celle des Cœur-de-Griffon des temps jadis. Les graines de la révolte étaient plantées.
Les Mages ne pouvaient laisser cet agitateur public continuer de menacer la paix millénaire de l’Empire. La Confrérie n’envoya pas moins de six adeptes du Feu pour mettre un terme définitif au problème. Ils attaquèrent le campement rebelle avec toute la subtilité dont un pyromancien est capable, réduisant en cendre jusqu’à la dernière braise.
Mais le Griffon d’Or et ses plus fidèles compagnons était partis prier les Dieux Jumeaux au clair de lune, et ne s’y trouvait pas à ce moment-là. Ils revinrent alors que les Mages fouillaient les décombres à la recherche de preuves. Le combat s’engagea, et Grayalla sa meilleure amie fut mortellement blessée par un trait de feu. C’est alors que le Griffon d’Or, penché sur son corps moribond, laissa couler des larmes de lumières. Les plaies calcinées de la jeune femme se refermèrent au contact de ces pleurs miraculeux. Devant cette épiphanie, les Mages durent se rendre à l’évidence : seul l’Empereur légitime d’Ilburia est en mesure de guérir le Feu. Ils avaient en face d’eux le légataire millénaire des Dieux Jumeaux.
Les Ventaigles refusèrent d’accepter une telle révélation, et lancèrent leurs propres hommes contre les survivants. Mais la donne avait changé : le Griffon d’Or pouvait désormais compter sur le soutien inconditionnel de la Confrérie. Et si elle était lente à réagir, la congrégation n’en était pas moins implacablement puissante et efficace. En quatre mois, le pouvoir fut renversé et les Ventaigles contraints à abdiquer. Ils furent expulsés de la capitale et forcés d’exploiter les mines d’or de Locriant, au plus profond du Lorden de Fonrinet, afin d’expier leurs péchés.
Le Griffon d’Or monta sur le trône sous le nom d’Aurélion IV. Nul ne pouvait attester de sa filiation avec l’antique famille, mais ses pouvoirs et la confiance que lui accordaient les griffons impériaux lui permirent de revendiquer le nom des Cœur-de-Griffon, en sus du titre suprême. Et à nouveau depuis bientôt deux siècles ont revit claquer aux quatre vents un griffon d’or sur fond d’azur barré d’argent au sommet de la plus haute tour du palais d’Heinburud.
La victoire du Griffon d’Or était absolue. A tel point que d’aucun n’y voient rien d’autre que le signe ultime de l’accomplissement de la volonté des Dieux Jumeaux. Par le sang et les larmes, Ils avaient refusé de voir Leur création s’effondrer. Que grâce leur soit rendue ! Longue vie à Aurélion IV ! Que l’Empire vive à jamais !